Paris – Janvier 1907. Les livres de Colette connaissent déjà un immense succès littéraire. L’écrivaine s’essaye à être actrice : elle se prépare à entrer sur la scène du célèbre Moulin-Rouge pour la première de Rêve d’Egypte, pantomime dans laquelle elle joue aux côtés de sa compagne. La salle est pleine et les journalistes sont aux aguets. Mais le public est-il venu pour le plaisir de découvrir un nouveau spectacle ou pour crier au scandale devant cette exhibition saphique ? L’heure tourne et la pression monte mais les actrices, tout en dégustant un délicieux Château d’Yquem 1876, semblent encore hésiter sur la manière de terminer leur pièce…
Colette
Les livres des Colettes sont émaillés de référence au plaisir, et notamment des plaisirs de la bouche. Le vin occupe une place de premier ordre dans son oeuvre et dans sa vie.
Dans l’oeuvre de Colette, fiction et réalité autobiographique se confondent admirablement. Comme parfois le discours sous l’effet du vin. Même si elle peut laisser penser le contraire dans ses écrits, Colette a toujours pris en main sa propre destinée. Elle ne s’est jamais laissée faire et était toujours prête à aller contre les idées reçues. Ecrivaine de la sensualité, elle revendique le droit à la pluralité et un refus total d’être cataloguée.
Son approche dénuée d’a priori et de faute, sans tabou, concentrée sur l’amour de l’instant présent est un passeport idéal pour découvrir les plaisirs de la dégustation.
« S’étonner est un des plus sûrs moyens de ne pas vieillir trop vite »
Colette
Image : Colette dans son costume de Rêve d’Egypte – Source : Gallica.bnf.fr / BNF – Crédit : BNF – Album Reutlinger
Willy
Henry Gauthier-Villars, dit Willy, est déjà un des hommes les plus en vue de la vie parisienne quand il épouse Sidonie-Gabrielle Colette en 1893. Elle a 20 ans et lui quinze de plus. Le couple s’installe à Paris, quai des Grands-Augustins, et mène une vie de bohème. En amour comme en écriture, Willy aime la diversité et la quantité. Il fait appel à différents nègres pour signer de nombreux textes : livres coquins, pièces des boulevards, critiques musicales, articles d’opinion… C’est un dandy éclectique, très cultivé avec un sens aigu de la critique et à la verve inlassable. Il a aussi un réel don pour percevoir le gout du public et stimuler son intérêt. On dirait aujourd’hui de lui qu’il a le marketing dans le sang et sait parfaitement exploiter la marque Willy.
En 1900, Colette publie son premier roman, Claudine à l’école, sous le nom de Willy. Le ton frais et impertinent du récit, présenté comme le journal intime de la jeune et délurée Claudine, plonge le lecteur dans le quotidien d’une école publique de province. D’autres Claudine suivront dans les années suivantes, rencontrant un succès phénoménal auprès du public.
Jusqu’à leur séparation, tous les livres de Colette seront publiés sous le nom de son mari. La part de ce que ses textes doivent à Willy est difficile à établir. Sans doute donna-t-il au moins à Colette l’impulsion initiale et l’encouragera-t-il dans les descriptions aiguisées de ses personnages.
Il vend les droits des « Claudine » à ses éditeurs, sans même l’en informer.
En 1904, le ménage commence à battre de l’aile. Colette et Willy se séparent en 1906. Willy a depuis quelques temps rencontré la belle Marguerite Maniez, dite Meg Villars, qu’il épousera en 1911.
Image : Willy par dans La Revue Blanche en 1896 – Source : Wikimédia Commons – Crédit : Felix Valloton
Mathilde de Morny
Mathilde de Morny est la fille du duc de Morny, lui même demi-frère de Napoléon III et Ministre de l’intérieur sous Louis-Napoléon Bonaparte. Par mariage en 1881 au descendant d’une des plus riches famille de France, elle devient marquise de Belbeuf. Issue de familles de très haut rang, elle est détentrice d’une immense fortune dont elle n’est pas avare.
Personnalité mondaine du Tout Paris, Mathilde de Morny se fait remarquer par sa conduite jugée extravagante. Elle porte alors un complet veston, le cheveu court, fume le cigare et se fait appeler « Missy », « Oncle Max » ou encore « Monsieur le Marquis ». Les amours féminines étaient relativement acceptées durant la Belle Epoque. Mais les afficher ostensiblement dans les milieux de la haute noblesse et s’accoutrer en homme est intolérable et délictuel.
Samia Bordji écrit d’elle :
“C’est là une particularité que Missy partage avec les rares femmes qui osent braver l’interdiction qui leur est faite de porter le costume masculin. Méprisant toutes les conventions, Missy, affirme sa virilité… Incapable de situer ce personnage inclassable, l’époque s’en tient à la condamnation.”
A partir de 1906, Mathilde et Colette entretiennent une profonde relation amoureuse. C’est un vrai couple, qui s’affiche.
Le 3 janvier 1907, date à laquelle la nouvelle se déroule, elle se présente sous l’anagramme d’Yssim dans la première de la pantomime Rêve d’Égypte, au Moulin Rouge. Elle joue le rôle d’un égyptologue témoin du réveil d’une momie, interprétée par Colette. Le scandale, organisé par une cabale bien préparée, qui accueille le spectacle est retentissant. Le préfet de Police Louis Lépine suspend les représentations à Paris : les suivantes se dérouleront en province.
Missy inspire à Colette le personnage de « La Chevalière » du roman Le Pur et l’Impur, publié en 1932 où elle est décrit ainsi : « En sombre ajustement masculin, [elle] démentait toute idée de gaieté et de bravade… Venue de haut, elle s’encanaillait comme un prince ».
Mathilde de Morny est morte en 1944, se suicidant par le gaz, seule et ruinée.
Image : Mathilde de Morny dite Missy – Source : Wikipédia – Crédit : Inconnu
Château d’Yquem
Yquem est le vin mythique incarné.
En 1785, Yquem devient la propriété de la famille Lur Saluces. Cette noble famille sublimera le terroir d’exception de ce château pour produire des vins dont la réputation et les prix atteindront des sommets a partir du milieu du XIXe siècle. Yquem s’impose à la cour du Tsar et à la cave de la Maison Blanche.
Yquem est l’unique château à avoir le rang de «premier cru supérieur» dans le classement qui sert de table de la loi aux grands vins de Bordeaux depuis 1855.
Les sols de graves et de sables de la région de Sauternes apportent au Sémillon (80%) et au sauvignon blanc (20%) toute la chaleur nécessaire au développement des arômes dans leurs baies. Les argiles sont sous-jacentes tout au long de la mosaïque géologique des 113 hectares du domaine. Ce couple sol et sous-sol, conjugué à l’effet du Ciron – la rivière qui coule en contre-bas du château – contribue aux conditions d’humidité propices au développement du botrytis, la fameuse pourriture noble.
On ne devrait pas parler de vendanges a Yquem, mais plutôt de cueillette. Les rendements sont minuscules, issus de récolte minutieuse grain à grain et de tries successives. Un pied de vigne ne donne en moyenne qu’un verre de vin.
Yquem est certainement l’un des vins qui a inspiré le plus d’écrivains. Voici un florilège des mentions que ce vin d’exception reçoit :
“les étés d’autrefois brûlent dans les bouteilles d’Yquem” note François Mauriac
“[…] tout en buvant un des Yquem que recelaient les caves des Guermantes, je savourais des ortolans accommodés selon les différentes recettes […]” écrit Proust
“À l’âge où l’on lit à peine, j’épelai, goutte à goutte, des bordeaux rouges anciens et légers, d’éblouissants Yquem.” se remémore Colette.
« Une noblesse exquise descendue en vous comme une lumière. Car l’Yquem, c’est aussi lumière. De la lumière bue ! » s’extasie Frédéric Dard.
Image : Une bouteille d’Yquem 1893 – Source & crédit : yquem.fr / LVMH
Principales Sources :
- Herbert Lottman – « Colette » – Folio
- Madeleine Lazard – « Colette » – Folio Biographies
- Marie-Laure Chamussy-Bouteille – « Colette, un vin d’écrivain » – Académie Amorim
- Bernard Lonjon – « Colette, la passion du vin » – Editions du moment
- France Culture – « La Compagnie des Auteurs » – Série de 4 émissions sur Colette
- France Inter – « Au fil de l’histiore » – Mathilde de Morny, la Belle et la Bête ?
- Arlette Bouloumié (directrice) – « L’imposture dans la littérature » –
Presses universitaires de Rennes - Lucie Lavirotte – « Colette et le mimodrame, une incursion de la romancière dans la pantomime (1905-1913) » – Ecole du Louvre, mémoire d’étude
- Alexandre de Lur Saluces & Marguerite Figeac – « D’yquem à fargues – l’excellence d’un vin, l’histoire d’une famille » – Editions Gallimard
- Société des amis de Colette : https://www.amisdecolette.fr/
- Gallica / BNF : Archives du Figaro
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Le Figaro – Article « Scandale au Moulin-Rouge en 1907 : Colette y embrasse goulûment son amante »
- Jean-Paul Jaud – Documentaire « Les quatre saisons d’Yquem » – JB Séquences
- Site du Château d’Yquem – yquem.fr