Château de Versailles – Décembre 1771. Le jeune Marquis de Monterland est surpris d’être invité dans la salle à manger des Retours de Chasse. Seuls les plus proches amis du roi y sont habituellement conviés. Il doit, malgré lui, y défaire le froid glacial installé entre Marie-Antoinette et la Comtesse du Barry, maîtresse du roi au passé sulfureux. Tout en dégustant le délicieux Château Lafite servi aux convives, parviendra-t-il à éviter les faux pas entre le retors Duc de Richelieu et le mélancolique Louis XV ?
Louis XV
Louis XV est un roi mal connu des Français, coincé entre le Roi Soleil – son grand-père – et le Roi guillotiné – son petit-fils.
Il naît au quatrième rang dans l’ordre de succession dynastique, mais la mort rôde autour de la famille des Bourbons. Il se retrouve dauphin à deux ans et couronné à Reims le 25 Octobre 1722, à cinq ans !
Au début de son règne de près de six décennies, la France est puissante et prospère. Quand vers 1750, l’opposition parlementaire commence à se développer, le roi réagit en lui confisquant une partie de ses pouvoirs. La seconde moitié du règne de Louis XV se passe dans une conjoncture défavorable : les finances vont mal, les récoltes sont mauvaises et la France perd une grande partie de ses colonies, notamment dans la guerre de Sept Ans, achevée en 1763.
Héritier d’une étiquette composée par Louis XIV dans laquelle il suffoque, il préfère au faste de la Cour des dîners informels dans la Salle à Manger des Retours de Chasse. Il y reçoit sans façon un nombre restreint de convives. Les plats sont posés sur la table, chacun se sert, change de place … Il se prend parfois lui même aux fourneaux pour préparer des plats.
Ses relations avec les femmes ont été nombreuses et tumultueuses. Marié à la princesse Marie Leszczynska, qui le donnera sa descendance officielle mais peu de plaisirs, il aura de nombreuses maîtresses et plusieurs enfants illégitimes. Les quatre sœurs de Mailly-Nesle qui furent ses favorites successives puis la Marquise de Pompadour lui révélèrent des plaisirs charnels.
Le surnom de Bien-Aimé, donné par le peuple au début de son règne, ne lui convient plus en 1772, quand se déroule notre nouvelle. Les rumeurs sur les relations qu’il entretient avec des jeunes femmes dans le Pavillon du Parc aux Cerfs ainsi que la réputation sulfureuse de sa maîtresse y sont pour beaucoup. Le premier valet du Roi avait pour mission d’essayer les demoiselles, afin de s’assurer de leur bonne santé et pour ne pas propager des maladies vénériennes au Roi. La Comtesse du Barry, dont Louis XV tombe fou amoureux en 1768, n’échappa pas à cet examen.
Image : Portrait au pastel de Luis XV par Maurice Quentin de la Tour – Source : Wikimedia Commons
Marie-Antoinette
Marie-Antoinette quitte l’Autriche pour être mariée au Dauphin de France quand elle a 15 ans. Elle arrive quelques jours après à Versailles, où les noces avec le futur Louis XVI sont célébrées. Leur nuit de noces restera non consommée, et il faudra des années plus tard les conseils de son frère pour que les époux royaux parviennent à leurs affaires.
Lorsque la Comtesse du Barry lui est présentée, intriguée par sa beauté et son sourire, elle questionne sur sa fonction à la Cour. On lui répond avec embarras que sa fonction est d’ « Amuser le Roi ». Marie Antoinette réagit avec enthousiasme : « En ce cas, je me déclare sa rivale ! » Sa réponse causa bien des gausseries.
Elle sera profondément choquée de comprendre la place réelle de Madame du Barry auprès du Roi. Elle méprise ses origines roturières et ses mœurs passées.
Une étincelle, en juin 1770, a mis le feu aux poudres de son animosité : dans la salle de théâtre du château de Choissy, les dames d’honneur de la Dauphine occupent les premiers rang. La représentation est déjà largement entamée quand Madame du Barry se présente, accompagnée par deux de ses amies. Elle prie qu’on leur cède des places aux premiers rangs. Les dames refusent et Mme de Gramont insulte la Favorite, qui se retire en larmes. Le lendemain, la comtesse de Gramont est exilée loin de la Cour sur ordre du Roi. Marie Antoinette, défiée, ne restera pas sans réagir.
En représailles, Marie Antoinette a décidé d’ignorer complètement La comtesse du Barry : elle ne la remarque plus, ne lui adresse jamais la parole, et détourne ostensiblement le regard à son approche. Ce mépris n’est pas inconséquent : à Versailles, nul ne peut adresser la parole à un interlocuteur de rang supérieur en public si se dernier ne lui parle pas le premier. Le Roi est profondément ulcéré par cette humiliation dans laquelle la Dauphine maintien sa favorite. Au moment où débute la nouvelle, dix-huit mois après ces faits, malgré son insistance et l’intervention de nombreux émissaires, l’entêtée Marie-Antoinette refuse encore d’adresser un mot à la favorite.
Image : « Marie Antoinette à la rose » peinte en 1783 par Elizabeth Vigée Le Brun – Source : Wikimedia Commons
La Comtesse du Barry
Jeanne Bécu est née en 1743 en Champagne des amours d’une couturière avec un moine, surnommé Frère Ange. Cette ascendance associée à sa beauté resplendissante lui valent le surnom de « Mademoiselle l’Ange »
Elle arrive à Paris vers 1761, pour être vendeuse dans une boutique de mode ,elle se fait vite remarquer. Jean-Baptiste Du Barry, dit Le Roué, ne tarde pas à la mettre à son service. Proxénète expérimenté et bien introduit dans la noblesse, il la présente à son bras dans les lieux parisiens à la mode pour mieux appâter les clients puis la « brocanter » au prix fort. Un inspecteur de la police des moeurs, que l’on imagine pourtant rompu a tout, écrira « Il la loue à tous venants, pourvu que ce soit des gens de qualité ou à argent. (…) Quelle abominable vie ! »
Les talents de Jeanne sont tels que son proxénète imagine un projet qui pourrait faire sa fortune : en faire la maîtresse du Roi ! Depuis la mort de Madame de Pompadour, il est inconsolable et peine à se distraire.
Une rencontre est organisée par l’entreprise du Duc de Richelieu, et après les vérifications d’usage faites par le premier valet du Roi, elle lui est présentée. C’est un coup de foudre.
Le Roi s’attache très vite a cette femme sensuelle, douce et pleine de joie. Il souhaite passer plus de temps avec elle, et l’installer dans des appartements du Château de Versailles. « Une femme devant être mariée pour être présentée à la Cour, le Roué organise des noces blanches avec son frère. Elle devient ainsi la Comtesse du Barry et peut accéder à la place enviée mais exposée de Nouvelle Maîtresse du Roi.
Ses origines roturière et sa réputation de catin vont susciter nombre de pamphlets injurieux, voire orduriers. Louis XV, agacé des commentaires et des réticences que sa nouvelle fréquentation attire, écrira à son premier Ministre Choisel : “Elle est très jolie, elle me plaît, cela doit suffire.”
Elle sera la dernière favorite de Louis XV de 1768 à la mort du Roi en 1774. Elle est alors exilée à l’abbaye de Pont-aux-dames sur ordre de Louis XVI avant d’être autorisée à s’installer dans son château de Louveciennes, que son amant lui avait offert en cadeau.
Elle est accusée de conspiration contre la nouvelle République française et mourra guillotinée en 1793 à Paris.
Image : Madame du Barry peinte en 1781 par Elizabeth Vigée Le Brun – Source : Wikimedia Commons
Le Duc de Richelieu
Les anecdotes et les mœurs de Louis-François-Armand de Vignerot du Plessis de Richelieu remplissent des livres entiers.
Il porte un des titres les plus prestigieux du royaume : celui de duc de Richelieu, pair de France. Ce titre a été créé en 1629 pour le cardinal de Richelieu (1585-1642), principal ministre de Louis XIII, et dont notre homme est le petit-neveu.
Il naît en 1696. Sa famille est très proche du pouvoir : il a Louis XIV pour parrain. Plus tard, Il se vantera d’avoir été l’amant de la mère du roi. C’est un jeune homme plein d’audace et prêt a défier le monde entier. Ses duels lui valurent, malgré ses protections, d’être emprisonné quatorze mois à la Bastille dans sa jeunesse.
Bien que sachant à peine l’orthographe, il fut élu à l’unanimité à l’Académie française le 25 novembre 1720. Ses hauts faits militaires lui valurent d’être fait maréchal de France le 11 octobre 1748. Il a la charge de premier gentilhomme de la Chambre de Sa Majesté Louis XV : il a sa confiance et suit le Roi dans tous ses déplacements.
Il veut goûter a tous les plaisirs que la vie peut lui offrir. C’est un libertin assumé, qui fréquentera assidûment la chambre de Mme de Vaubernier – le nom sous lequel Jeanne Bécu recevait les clients que lui amenait son maquereau. Son personnage inspirera à Choderlos de Laclos le du Vicomte de Valmont dans ses « Liaisons Dangereuses ».
En plus du pouvoir, de l’argent et des femmes, il est connu pour être amateur de bonne chère et de bons vins. La mayonnaise aurait été inventée pour lui par son cuisinier alors qu’il était en campagne militaire à Mahón dans les Baléares : la sauce mahonnaise serait son nom originel. Le « Boudin à la Richelieu » – boudin blanc truffé servi avec des amandes – a été nommé en son honneur.
Jusqu’au milieu du XVIIIème siècle, seuls les vins de Bourgogne et de Champagne sont servis à la Cour. Après qu’il fut devenu Gouverneur de Guyenne – ancien nom des alentours de Bordeaux – en 1758, le Roi lui indiqua lors d’une visite à Versailles “Je suis tenté de croire que vous avez vingt-cinq ans de moins qu’à votre départ pour la Guyenne”. Ce à quoi le Duc répondit “Votre Majesté ignore-t-elle que j’ai trouvé la fameuse fontaine de Jouvence ? J’ai découvert que le vin de Château Lafite est un cordial généreux, délicieux et comparable à l’ambroisie des Dieux de l’Olympe”.
Image : Portrait présumé du duc de Richelieu en 1772 par Louis Tocque – Source : Musée des Beaux-Arts de Tour
Château Lafite
Le château Lafite produit l’un des vins de Bordeaux les plus prestigieux et célèbres au monde. C’est un domaine viticole du Médoc, situé sur la commune de Pauillac.
Si les premières traces de la Seigneurie de Lafite remontent au XIIIème siècle, la plantation de vignes est avéré seulement à partir de la fin du XVIIème siècle.
Au moment où la nouvelle se déroule, le Château appartient aux descendants du Marquis de Ségur, mort en 1755. Celui-ci est l’unique cas de l’Histoire a avoir détenu simultanément trois des cinq futurs Premiers Crus Classés des vins rouges de Bordeaux : il hérite du Chateau Latour du côté maternel et du Chateau Lafite du côté paternel, et achète un la Château Mouton un peu plus tard. Il sera aussi propriétaire du Château Calon-Ségur. Ce patrimoine unique lui vaudra d’être appelé le Prince des Vignes à la Cour. Sous son impulsion, la qualité et la renommée des vins de ses domaines et plus largement de la région connaîtront une progression déterminante.
En 1868, le baron James de Rothschild acquiert le château Lafite. Ce banquier établi à Paris et passionné de vin est la fondateur de la branche française des Rothschild. Quinze avant, son neveu Nathaniel de la branche anglaise des Rothschild a acheté le Château Mouton, a quelques encablûres.
Chateau Lafite Rothschild fait partie des quatre vins rouges reconnus Premiers Grands Crus dans la classement de 1855, avec la particularité d’être le premier de la liste ! (voir image du classement ci-dessous).
Image : Photographies de bouteilles de Château-Lafite Rothschild – Source et Crédit : Dominic Lockyer (Flickr)
Principales Sources :
- Jean-Christian Petitfils – « Louis XV » – Editions Perrin
- Jacques de Saint Victor – « Madame du Barry » – Editions Perrin Tempus
- Eric Deschodt – « Lafite-Rothschild » – Editions du Regard
- Louis François Armand de Vignerot Du Plessis – « Mémoires du Maréchal Duc de Richelieu, pour servir à l’histoire » – Editions Buisson
- Claude De Rulhière – « Anecdotes sur le maréchal de Richelieu » – Editions Allia
- Site du Château de Versailles : http://www.chateauversailles.fr/
- Site du Château Lafite-Rothschild : http://www.lafite.com/
- Christian Baulez – Article « Le Grand baromètre de Louis XV » – Revue de la Société des Amis de Versailles
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